Numéro
10, 27 janvier 1997 |
Selon André Corten, « la présence appuyée du pentecôtisme auprès des milieux les plus pauvres a orienté également la recherche vers le discours de la pauvreté.» Un projet de livre collectif est d'ailleurs en chantier sur ce thème. Y collaborent, en plus du professeur Corten, Marie-Christine Doran et Ricardo Peñafiel de l'UQAM et Daniel Hiernaux-Nicolas (Université Autonome Métropolitaine de Mexico).
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Le pentecôtisme n'a rien d'une secte, tient à préciser le professeur Corten.* A son avis, il s'agit même de la plus grande révolution religieuse depuis la Réforme qui s'accomplit surtout dans le tiers monde, touchant environ 10% des populations africaine et latino-américaine. Ce mouvement religieux est à la fois égalitaire et autoritaire, explique-t-il. "Égalitaire car aucune médiation n'est nécessaire pour recevoir les dons de l'Esprit Saint. Autoritaire car la gestion émotionnelle fait surgir une élite singulière, de classe moyenne, formée "sur le tas", dont le pouvoir se construit dans le sermon même et tient à sa capacité de gérer les émotions des gens." Nulle trace, donc, de théologie ou d'études savantes qui servent traditionnellement d'assises aux interventions du clergé, mais plutôt des discours efficaces, allant des lieux de culte aux messages radiodiffusés ou télévisés.
Rien d'étonnant si l'approche méthodologique retenue est l'analyse du discours, laquelle se développe sur une base interdisciplinaire depuis une trentaine d'année. Elle permettra d'étudier l'émotion religieuse dans le discours qui la produit. Selon André Corten, "en s'attachant à la recherche "d'énoncés originaires" (ou premiers)** et en étudiant comment ils sont reçus, on dispose d'une méthode pour observer la pénétration du théologique dans la sphère du politique." Il s'agira, dans un premier temps, d'analyser deux énoncés originaires propres au pentecôtisme: celui de la louange qui se transforme en pure énonciation dans la glossolalie (ou parler en langues), et celui de la prise de possession de la bénédiction divine, qui permet des guérisons miraculeuses. Ce travail doit être fait à partir d'un corpus suffisamment élaboré pour voir la circulation des deux énoncés originaires, exigeant un important travail de terrain, tant au Brésil et qu'en Haïti, pour le rassemblement de textes et l'enregistrement de discours (de culte, d'émissions radiophoniques et télévisées, d'entrevues de croyants).
Autre objet de la recherche: la question de "l'acceptabilité" des énoncés originaires. S'ils sont jugés inacceptables par la langue politique existante, des manifestations d'intolérance, voir de guerre religieuse, sont à prévoir tôt ou tard. Or ce phénomène marque non seulement l'Amérique latine, estime le professeur Corten, mais aussi l'Amérique du Nord où l'on a eu tendance - à tort - à prendre pour acquis la désintrication du politique et du religieux. Par ailleurs, en cette période de soi-disant mondialisation, on peut se demander si l'émergence d'un mouvement religieux de cette importance, très émotionnel, vécu par les pauvres, ne risque pas d'influencer l'évolution du monde à partir d'un point qui n'en est nullement le centre.
Notons que le pré-test d'un corpus, réalisé par la même équipe, a fait l'objet en novembre l995 d'une publication au CIADEST (Centre interuniversitaire d'analyse du discours et de sociocritique des textes), sous le titre Le discours du romantisme théologique latino-américain. André Corten, qui approfondit cette problématique depuis environ 8 ans, a publié d'autres ouvrages sur la question, dont Le pentecôtisme au Brésil - Émotion du pauvre et romantisme théologique, également paru en l995 aux Éditions Karthala.